La « co-construction », un exemple de « school-washing »
Par Séverine Maun
La ministre Schyns relaie avec efficacité auprès des médias l’idée que le Pacte Pour un Enseignement d’Excellence (PPEE) a été « co-construit » avec les acteurs de terrain. Ce serait même LA nouveauté de cette réforme de l’enseignement. Ainsi, on peut lire dès la page 2 : « Notre avis s’est construit sur base d’un modèle de co-construction unique en son genre entre les différents acteurs du monde éducatif, à savoir les fédérations de pouvoirs organisateurs (P.O.), les représentants des organisations syndicales, les organisations représentatives des parents et des associations de parents ».
Le principal acteur du monde éducatif, celui sur lequel toute la réforme repose in fine, le professeur, où est-il dans cette énumération ?
Examinons dans l’ordre les « acteurs de terrain » énumérés. D’abord, les fédérations de P.O., notamment le puissant SeGEC (Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique). Sa présence à la table des négociations engendre de facto un tabou sur la question des réseaux.
Les représentants des organisations syndicales ensuite. D’après le Petit Robert, un syndicat est une « association qui a pour objet la défense d’intérêts communs », en particuliers professionnels »1. C’est bien ce que l’on retrouve dans le premier objectif de la CSC- Enseignement : « Défendre les intérêts collectifs des personnels de l’enseignement »2. Les syndicats représentent donc les professeurs mais en tant que travailleurs, pas en tant que pédagogues de terrain. Preuve en est le décalage entre les discours tenus par les présidents de ces vénérables institutions… et celui des délégués qui œuvrent dans les écoles. Voici leur réponse à une demande d’information d’un délégué de terrain qui leur signalait que « sur le terrain, la colère gronde et [que] les travailleurs ne se sentent pas soutenus par leur instance syndicale dans cette vision de l'enseignement proposée dans le Pacte d'Excellence. » : « Parmi les avancées, on notera notamment la garantie du maintien global de l’emploi, un investissement de près de 220 millions € en 2020, des garanties quant à la révision du décret taille des classes (avancée importante pour Bruxelles qui souffre de discrimination en la matière), la réduction de la charge pour les profs de PP, des balises en matière de charge de travail, etc… »3. Où est la pédagogie et la vision de l’école de demain dans ces considérations, fussent-elles importantes ? Autre argument : tous les professeurs ne sont pas syndiqués. Ceux qui ne le sont pas n’étaient donc représentés par personne !
Enfin, le PPEE cite les représentants des parents. Leur rôle est essentiel mais sont-ils en classe quotidiennement avec 25 élèves (ou plus) ?
Le PPEE continue ainsi : « Les travaux du Pacte se sont nourris des analyses, débats et propositions de nombreux groupes de travail associant acteurs de terrain et experts, ainsi que de nombreuses consultations (…) ». Les professeurs ont effectivement été appelés à se prononcer via la magasine Profs. Les chiffres de ces consultations sont donnés à la page 308. Pour les enseignants, l’échantillon N = 989. Rappelons qu’il y a plus de 100.000 enseignants en FWB. L’échantillon correspond donc à moins de 1%... Quant aux « focus-groupes » associant acteurs de terrain et experts, il nous est revenu plusieurs témoignages de professeurs qui ont quitté la barque car ils ne s’y sentaient pas à leur place, coincés entre des fonctionnaires, des psycho-pédagogues et des doctorants4 (et des consultants ? Mais laissons de côté cette autre polémique…), toutes personnes payées pour être là sur leur temps de travail, là où les enseignants qui souhaitaient participer le faisaient sur leur temps libre, parfois au détriment de leur travail en classe. Pire, quand leurs avis divergeaient de la ligne pré-fixée, il n’était pas pris en compte ! Il a même été dit texto : « Oh mais, vous savez, de toute façon, les orientations sont déjà choisies… ». Et de fait, elles sont déjà dans la déclaration de politique communautaire, « programme » de la législature en FWB.
La conclusion de l’extrait cité du PPEE, à savoir que « Les orientations auxquelles nous avons abouti ont été élaborées à partir de la réalité des classes et elles sont fondées sur l’expertise et l’expérience de ceux qui vivent l’école au quotidien », est donc erronée. Or, le mot « co-construction » fut celui que retint l’animateur d’une des « conférences-débats » de la ministre5. Après son exposé vint le moment des questions. Cinq questions à la fois, sans droit de réponse, sans échange. Pour y répondre, MMS était coachée en direct via son oreillette (merci les problèmes de régie qui ont fait entendre la voix du coach !) ou via son Smartphone (quand il a bien fallu lâcher l’oreillette car c’était trop gros…). Si ce genre de « rencontre » permet d’affirmer que cette réforme se fait « avec ceux qui vivent l’école au quotidien », c’est un bel exemple de manipulation médiatique…
Y avait-il moyen de procéder autrement ? Oui. En Finlande (fameuse Finlande…), les autorités ont envoyé deux-trois livres de pédagogie à tous les enseignants et les ont laissé « dormir dessus » pendant deux ans avant de mener de larges consultations. Contacter les enseignants via leurs mails personnels et/ou imposer des journées pédagogiques dans toutes les écoles sur le thème « Quelle école pour demain ? » étaient d’autres possibilités. Cela aurait pris plus de temps, cela aurait demandé de rester ouvert à des propositions moins « politiquement correctes », comme la suppression des réseaux, mais cela aurait vraiment impliqué ceux qui sont responsables de la formation des jeunes de demain… et qui seront seuls pour appliquer la réforme.
Séverine MAUN
1 Le Nouveau Petit Robert, 2000, p. 2455.
2 https://csc-enseignement.csc-en-ligne.be/csc-enseignement/la-csc-e/connaitre-la-csc-e/qui-sommes-nous.html
3 Fabrice Pinna (CSC) dans un mail à X. K., délégué syndical à Uccle.
4 Cf. ce témoignage de M. de B. : « Je suis l’un des rares enseignants de terrain (le seul de cette école) à avoir participé aux groupes thématiques du pacte, en l’occurrence le groupe mathématique présidé par Mme Maggy Schneider. J’étais celui qui enseigne aux plus jeunes (le premier degré en l’occurrence), aucun instituteur ne s’étant déclaré intéressé et le seul dont la formation en mathématique s’était faite en haute école au temps où fleurissaient les mathématiques modernes. Avec moi, deux autres enseignants du supérieur, des professeurs de didactique en haute école ou à l’université, des inspecteurs, des représentants du SeGEC, un total de 15 participants. Trois enseignants de terrain sur quinze, les débats ont vite dépassé notre niveau et j’ai laissé tomber ma participation au bout de 4 réunions car les questions et les réflexions du groupe s’étaient déplacées en dehors des classes… sans doute pour de bonnes raisons selon les experts, mais bien éloignées du quotidien de professeurs qui, comme moi venaient apporter leur témoignages de la réalité des classes et des difficultés propres à l’enseignement des mathématiques et venaient relater des problèmes d’ordre pédagogique.
Je me suis aussi rendu compte que la plupart des membres de ce groupe valorisaient leur participation dans leur temps de travail alors que les trois enseignants de terrain venaient bénévolement et puisaient sur leur temps libre… C’était à se demander si on souhaitait réellement leur participation ? Ou si l’on préférait travailler entre experts ? »
5
A Don Bosco, Woluwe, le 29 avril 2017.
Le principal acteur du monde éducatif, celui sur lequel toute la réforme repose in fine, le professeur, où est-il dans cette énumération ?
Examinons dans l’ordre les « acteurs de terrain » énumérés. D’abord, les fédérations de P.O., notamment le puissant SeGEC (Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique). Sa présence à la table des négociations engendre de facto un tabou sur la question des réseaux.
Les représentants des organisations syndicales ensuite. D’après le Petit Robert, un syndicat est une « association qui a pour objet la défense d’intérêts communs », en particuliers professionnels »1. C’est bien ce que l’on retrouve dans le premier objectif de la CSC- Enseignement : « Défendre les intérêts collectifs des personnels de l’enseignement »2. Les syndicats représentent donc les professeurs mais en tant que travailleurs, pas en tant que pédagogues de terrain. Preuve en est le décalage entre les discours tenus par les présidents de ces vénérables institutions… et celui des délégués qui œuvrent dans les écoles. Voici leur réponse à une demande d’information d’un délégué de terrain qui leur signalait que « sur le terrain, la colère gronde et [que] les travailleurs ne se sentent pas soutenus par leur instance syndicale dans cette vision de l'enseignement proposée dans le Pacte d'Excellence. » : « Parmi les avancées, on notera notamment la garantie du maintien global de l’emploi, un investissement de près de 220 millions € en 2020, des garanties quant à la révision du décret taille des classes (avancée importante pour Bruxelles qui souffre de discrimination en la matière), la réduction de la charge pour les profs de PP, des balises en matière de charge de travail, etc… »3. Où est la pédagogie et la vision de l’école de demain dans ces considérations, fussent-elles importantes ? Autre argument : tous les professeurs ne sont pas syndiqués. Ceux qui ne le sont pas n’étaient donc représentés par personne !
Enfin, le PPEE cite les représentants des parents. Leur rôle est essentiel mais sont-ils en classe quotidiennement avec 25 élèves (ou plus) ?
Le PPEE continue ainsi : « Les travaux du Pacte se sont nourris des analyses, débats et propositions de nombreux groupes de travail associant acteurs de terrain et experts, ainsi que de nombreuses consultations (…) ». Les professeurs ont effectivement été appelés à se prononcer via la magasine Profs. Les chiffres de ces consultations sont donnés à la page 308. Pour les enseignants, l’échantillon N = 989. Rappelons qu’il y a plus de 100.000 enseignants en FWB. L’échantillon correspond donc à moins de 1%... Quant aux « focus-groupes » associant acteurs de terrain et experts, il nous est revenu plusieurs témoignages de professeurs qui ont quitté la barque car ils ne s’y sentaient pas à leur place, coincés entre des fonctionnaires, des psycho-pédagogues et des doctorants4 (et des consultants ? Mais laissons de côté cette autre polémique…), toutes personnes payées pour être là sur leur temps de travail, là où les enseignants qui souhaitaient participer le faisaient sur leur temps libre, parfois au détriment de leur travail en classe. Pire, quand leurs avis divergeaient de la ligne pré-fixée, il n’était pas pris en compte ! Il a même été dit texto : « Oh mais, vous savez, de toute façon, les orientations sont déjà choisies… ». Et de fait, elles sont déjà dans la déclaration de politique communautaire, « programme » de la législature en FWB.
La conclusion de l’extrait cité du PPEE, à savoir que « Les orientations auxquelles nous avons abouti ont été élaborées à partir de la réalité des classes et elles sont fondées sur l’expertise et l’expérience de ceux qui vivent l’école au quotidien », est donc erronée. Or, le mot « co-construction » fut celui que retint l’animateur d’une des « conférences-débats » de la ministre5. Après son exposé vint le moment des questions. Cinq questions à la fois, sans droit de réponse, sans échange. Pour y répondre, MMS était coachée en direct via son oreillette (merci les problèmes de régie qui ont fait entendre la voix du coach !) ou via son Smartphone (quand il a bien fallu lâcher l’oreillette car c’était trop gros…). Si ce genre de « rencontre » permet d’affirmer que cette réforme se fait « avec ceux qui vivent l’école au quotidien », c’est un bel exemple de manipulation médiatique…
Y avait-il moyen de procéder autrement ? Oui. En Finlande (fameuse Finlande…), les autorités ont envoyé deux-trois livres de pédagogie à tous les enseignants et les ont laissé « dormir dessus » pendant deux ans avant de mener de larges consultations. Contacter les enseignants via leurs mails personnels et/ou imposer des journées pédagogiques dans toutes les écoles sur le thème « Quelle école pour demain ? » étaient d’autres possibilités. Cela aurait pris plus de temps, cela aurait demandé de rester ouvert à des propositions moins « politiquement correctes », comme la suppression des réseaux, mais cela aurait vraiment impliqué ceux qui sont responsables de la formation des jeunes de demain… et qui seront seuls pour appliquer la réforme.
Séverine MAUN
1 Le Nouveau Petit Robert, 2000, p. 2455.
2 https://csc-enseignement.csc-en-ligne.be/csc-enseignement/la-csc-e/connaitre-la-csc-e/qui-sommes-nous.html
3 Fabrice Pinna (CSC) dans un mail à X. K., délégué syndical à Uccle.
4 Cf. ce témoignage de M. de B. : « Je suis l’un des rares enseignants de terrain (le seul de cette école) à avoir participé aux groupes thématiques du pacte, en l’occurrence le groupe mathématique présidé par Mme Maggy Schneider. J’étais celui qui enseigne aux plus jeunes (le premier degré en l’occurrence), aucun instituteur ne s’étant déclaré intéressé et le seul dont la formation en mathématique s’était faite en haute école au temps où fleurissaient les mathématiques modernes. Avec moi, deux autres enseignants du supérieur, des professeurs de didactique en haute école ou à l’université, des inspecteurs, des représentants du SeGEC, un total de 15 participants. Trois enseignants de terrain sur quinze, les débats ont vite dépassé notre niveau et j’ai laissé tomber ma participation au bout de 4 réunions car les questions et les réflexions du groupe s’étaient déplacées en dehors des classes… sans doute pour de bonnes raisons selon les experts, mais bien éloignées du quotidien de professeurs qui, comme moi venaient apporter leur témoignages de la réalité des classes et des difficultés propres à l’enseignement des mathématiques et venaient relater des problèmes d’ordre pédagogique.
Je me suis aussi rendu compte que la plupart des membres de ce groupe valorisaient leur participation dans leur temps de travail alors que les trois enseignants de terrain venaient bénévolement et puisaient sur leur temps libre… C’était à se demander si on souhaitait réellement leur participation ? Ou si l’on préférait travailler entre experts ? »
5
A Don Bosco, Woluwe, le 29 avril 2017.