Ce 23 janvier, nous fêtons un an de vie de ce groupe Facebook « Non au pacte d’excellence ». Un an jour pour jour qu’abasourdi par les nouvelles venant des assemblées régionales syndicales, j’ouvrais le groupe et assistais à l’entrée fracassante du Pacte Pour un Enseignement d’Excellence (PPEE) dans ma vie. Le nombre de membres atteignait près de vingt mille en moins de dix jours. Devant l’ampleur de cette vague, je me suis renseigné le plus possible sur ce sujet. J’ai découvert le discours officiel articulé autour des concepts de co-construction, de consultation et d’acteurs de l’enseignement. Très rapidement ces trois éléments de langage se sont fracassés sur le rocher de la première réflexion critique. Les acteurs de l’enseignement n’étaient pas les acteurs de terrain, mais leurs représentants, la co-construction était un privilège réservé à ces mêmes représentants et la consultation un argument publicitaire, sans plus. Aujourd’hui, un an après, quel bilan ? Un court rappel : le PPEE, c’est un projet de réforme voulant lutter contre les inégalités, le redoublement et les effets de relégation de filières en filières et prétendant y arriver avec une mesure phare : l’allongement du tronc commun jusqu’à la troisième année du secondaire. L’autre mesure importante est le pilotage par indicateurs du système, pour en améliorer l’efficacité et l’efficience. Avec cette mesure, chaque établissement écrit son ‘mini-pacte’ local : des objectifs chiffrés attendus au bout d’une période de six ans, suivis d’une évaluation et d’ajustements. Ajoutez une réforme des rythmes scolaires sur l’année d’abord, sur la journée ensuite, et les trois piliers de la réforme ont été abordés. Pas la peine de s’étendre, le discours officiel est omniprésent et connu. Mais voyons un peu ce que n’est pas le PPEE. Ce que le Pacte ne fait pas, c’est adopter un regard critique sur les tests PISA, sur la situation de quasi-marché scolaire du système éducatif communautaire, sur la blessure jamais guérie que représente la rupture ou l’absence de dialogue entre les trois pôles du système éducatif évoluant autour des élèves (à savoir les professionnels de terrain, les académiques et les politiques). PISA, nouvel évangile ? Tout d’abord, les tests PISA semblent s’affirmer comme le nouveau dogme, sorte d’indépassable horizon, vérité révélée et indiscutable. Pourtant, je vois deux critiques possibles. La première, c’est la réponse à la question "Qui a commandé ces tests et dans Quel(s) but(s) ?" Ces tests sont conçus et menés par l’OCDE. L’organisation de coopération et de développement économique n’est pas une œuvre philanthropique. Il suffit d’aller sur sa page d’accueil et de lire les textes à la base de son programme pour l’enseignement pour réaliser que le bien-être, l’épanouissement ou la patience ne sont pas dans ses priorités. Pourtant, si vous demandez aux enseignants leurs objectifs fondamentaux, et aux parents leurs espoirs, ce sont ces mots qui se retrouvent sur le podium. De contradiction à contre-indication, il n’y a qu’un pas. Deuxièmement, les tests PISA se veulent des comparaisons entre différents groupes (pays) pour les comparer les uns aux autres et tirer des conclusions sur l’efficacité de leur système éducatif. Or, en statistique niveau débutant, on apprend que pour pouvoir comparer valablement des groupes, il faut s’assurer que la variance au sein de chaque groupe est relativement homogène. De trop fortes différences internes compromettent la validité de la comparaison opérée au moyen des tests PISA. Qui ignore encore que les résultats entre écoles et entre communautés en Belgique présentent une très grande variabilité ? N’avons-nous pas là une raison valable de mettre en cause la validité de la comparaison avec les autres pays ? J’ai posé la question à des professeurs d’université et une lumière pétillante s’est allumée dans leur regard. Ils n’ont pas balayé cette hypothèse d’un revers de main. Qui ira au bout de cette réflexion ? Qui ira à contre-courant des constats défaitistes qui plombent un peu plus chaque jour le moral et le crédit accordé par la société aux enseignants ? Qui fera cette démonstration capable de rendre aux parents la confiance qui, pour trop d’entre eux, fond comme neige au soleil envers tout un système scolaire ? Quasi-marché ? Ensuite, nous vivons en Communauté Française une situation de quasi-marché scolaire qui ne dit pas son nom. D’un point de vue de financement du système, deux solutions sont possibles : public ou privé. Pour le financement public, trois attitudes sont possibles dans le chef du gouvernement : le plan, le contrat et le marché. Le curseur suivra alors cet ordre avec une intervention publique, qui ira d’une administration très centralisée (comme en France) à une contractualisation des établissements en échange du financement (comme en Angleterre), ou encore à une administration minimale fournissant les moyens et laissant chaque établissement évoluer dans un marché scolaire assumé (comme au Chili). Ce tableau rapidement dressé montre que les systèmes les plus performants sont ceux qui ont une situation claire parmi ces trois possibilités. Or, notre système communautaire se caractérise par un mix de ces solutions. C’est cette soupe tiède entre contractualisation en partie, centralisation à moitié et liberté pâle qui cause l’inefficacité de l’ensemble. Hélas, cette situation résultant de la distribution de l’offre en réseaux n’est pas abordée par le PPEE. Raison pour laquelle. fort probablement, il passe à côté de l’objectif annoncé. Renouer les liens Il est un troisième nœud qui n’est pas abordé par le PPEE. Le système s’articule autour de trois pôles constitués autour du centre formé par les élèves. Le premier pôle est au contact des élèves, ce sont les gens de terrain : enseignants, directions, éducateurs, équipes de centre psycho-médico-sociaux, équipes d’internats d’un côté et parents de l’autre. Le deuxième pôle est celui des académiques, les fameux pédagogues accusés de tous les maux par beaucoup d’enseignants. Le dernier pôle est celui du politique. Le dialogue entre ces entités est très difficile. Les académiques et les professionnels de terrain n’ont pas le même objectif : les premiers prétendent à l’universalité des solutions proposées, tandis que les seconds ont le nez dans le guidon d’une pratique quotidienne. Récemment, les chercheurs ont admis leur erreur fondamentale de dispositifs expérimentaux en laboratoire forcément éloignés de la réalité du terrain. Depuis trente ans, le fossé s’est ainsi creusé et les réformes entreprises se sont toutes échouées sur les rochers de la résistance des seconds aux propositions des premiers. Dans les systèmes les plus performants, par exemple en Australie, les liens entre chercheurs et acteurs de terrains sont forts. Dans leur formation initiale, les enseignants suivent un parcours universitaire où ils sont initiés aux fondements de la recherche. Ils sont ainsi prêts à mettre en œuvre rapidement et avec un haut degré de compréhension les recherches menées au bénéfice de tous et de la qualité du système éducatif. Le Pacte ne propose rien pour renouer les fils du dialogue chez nous. Tout au plus aborde-t-il la formation initiale des enseignants, mais sans formuler de demandes claires, et il ne prévoit rien pour le pôle politique. Réforme bien ordonnée ne commence donc pas par soi-même. Pièges à éviter. Dans les échanges autour du Pacte, se cachent des pièges qu’il vaut mieux éviter. Le discours officiel prétend apporter des réponses aux inégalités, au fort taux de redoublement, à la relégation vs l’orientation et il ambitionne de rendre leur primauté aux savoirs fondamentaux. Etre opposant au Pacte est une position de facto perçue à tort comme réactionnaire. Le malentendu est énorme. Qui est pour l’inégalité, le redoublement et l’absence de savoirs ? Personne évidemment. Comment alors concevoir de pouvoir s’opposer au Pacte ? Il semble pertinent de sortir du piège des thèmes débattus et porter l’attention sur les thèmes jamais abordés. Les trois premiers ont été développés plus haut. Le plus fondamental pourtant reste à venir : la consultation comme argument publicitaire vs une pratique sincèrement conduite. Selon l’avis n°3, quelques centaines de profs ont répondu à la récolte de propositions par internet sur le site du PPEE (pour rappel, la Fédération Wallonie-Bruxelles totalise plus de cent mille professionnels de l’enseignement). Quelques centaines encore ont participé aux premiers ateliers organisés par l’IFC. Ils ne sont pas revenus aux suivants, écœurés par l’impossibilité d’exprimer leurs attentes ou leurs solutions et constatant qu’ils étaient là pour écouter ce que sera le PPEE. Le groupe Facebook « Non au Pacte d’Excellence » est sorti du virtuel pour entrer, sous forme d’une asbl, dans la réalité des soirées du Pacte. A force d’y souligner l’absence de vraie consultation, la ministre a promis de l’améliorer. Promesse tenue avec l’organisation de groupes de lecture composés en partie d’enseignants dans les groupes de travail des référentiels et de la journée du consensus ce 20 janvier. Je vois là les premiers résultats de notre mobilisation. Mais la réponse se montre terriblement insuffisante. Voilà donc qu’un échantillon de 150 personnes sera la voix de toute la population de la communauté ! (selon quelle méthode ? pourquoi une entreprise privée ? sur quel budget ? pour quel montant ?). Passés outre ces premiers doutes, les membres d’1pact ont participé à cette journée. Hélas, à nouveau, ils ont eu l’impression de valider, à leur corps défendant, via une mise en scène méthodique, la proposition du gouvernement, forcés ainsi de laisser l’originalité ou la créativité mais surtout l’expertise au vestiaire. Ces expériences frustrantes de pseudo-consultation ne nous font pas oublier le cœur du problème. Le PPEE n’est pas une réforme copernicienne venue de tous les gens concernés par l’enseignement. Il est le développement, par leurs représentants et les dirigeants des réseaux, d’un projet initial de huit pages transmis par le dirigeant de McKinsey Belgium à la ministre Milquet. C’est elle qui fera ajouter les passages préfigurant le PPEE à la déclaration de politique communautaire, bien avant la constitution du premier groupe de travail. C’est elle encore qui fera passer les plans de pilotage au cœur d’un décret fourre-tout, sans véritable débat parlementaire. La meilleure preuve de l’absence de réelle concertation, ou a minima du raté monumental de la représentativité censée dominer les travaux du pacte, est la contestation chaque jour grandissante et de mieux en mieux argumentée. En effet, si une vraie participation de tous avait eu lieu, si la volonté de consensus était sincère depuis les premières heures, verrions-nous aujourd’hui tant de gens se lever contre le projet ? Marche forcée. Un an de contestation pour quels résultats ? Le gouvernement avance, il se hâte même. Les tenants du PPEE nous assurent que la réforme est prévue pour traverser les législatures. Pourtant, l’opposition ne cache pas son intention de supprimer l’allongement du tronc commun. Certains s’en réjouissent mais attention : il convient d’analyser les arguments et les alternatives avec un esprit critique. La publication des scénarios possibles de grilles horaires attire l’attention d’un nombre grandissant de collègues et de parents. Le renforcement du maternel et du primaire a été voté et lancé. Accueillie favorablement, les mesures montrent leurs limites et on peut lire sur le groupe des témoignages montrant que tout n’est pas réglé pour autant, à suivre et à évaluer donc. On le voit, le PPEE n’est pas un bloc homogène qu’une manifestation même énorme pourrait empêcher. Il s’agit bien d’une série de mesures qui se succèdent. Quelle solution ? Après un an de réflexion, d’échanges, de rencontres, voici ce qui se dégage comme pistes pour avancer :
Un an de vie de groupe Facebook vient de s’achever. De mon point de vue, le bilan est positif :
Puissions-nous, en ces temps de campagne électorale à venir, ne pas fêter trop d’anniversaires de ce groupe. Ce serait le signe qu’un nouveau gouvernement aurait entendu l’appel que nous lançons (oui, partie utopiste assumée !). Le mot de la fin à l'un de ceux qui sont constamment au centre de nos préoccupation à tous, que l’on soit pour ou contre le Pacte (le fair-play comme une main tendue) : les élèves. « Vivre sans comprendre, c’est vivre sans vivre»
Christian, 4TQ animation
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